Entre le travail, ma formation et l'écriture de mon roman, j'ai pris le temps d'écrire cette petite nouvelle qui me trottait dans la tête. Je ne lui ai pas encore trouvé de titre. Dites-moi ce que vous en pensez !
Le centre des voyages passés formait une immense boule cristalline auréolée de lumière. Décidemment, dés que l’argent affluait, l’homme ne pouvait se contenter de simples locaux, il lui fallait du grandiose, rien que du grandiose.
L’intérieur était à la hauteur de ses prétentions extérieures : marbre blanc étincelant, gravures d’or sur les murs, pièces rares sous vitrine. Tout me rappelait que seuls les riches pouvaient entrer ici. Bien entendu, ce n’était pas mon cas.
Né dans les solitudes désolées d’une cité misérable, je n’avais jamais connu autant de luxe. Par contre, je connaissais parfaitement le regard de ces jeunes filles qu’on appelait « tournante », les vomissures des alcooliques sur les trottoirs, les seringues des drogués abandonnées dans les cages d’escalier, la décomposition des murs sous la moisissure, mais surtout je connaissais parfaitement ces visages délavés par tant de souffrances, terrorisés par tant de violence, ces regards vides de tout espoir, résolus à l’inévitable.
Mais moi, je ne pouvais me résoudre. Je ne le voulais pas. C’est pourquoi je me suis lancé dans le trafic de la Camélia. Un très joli nom pour la dernière drogue dur. Une simple toxine prélevée sur un crapaud qui était une race en voie de disparition. Aujourd’hui, grâce aux propriétés hallucinogènes de cet amphibien, on trouvait des milliers de clones du dernier survivant. Eh oui ! Il fallait une découverte de ce genre pour que son espèce survive…
Grâce au pactole que je me suis ramassé, j’avais enfin l’occasion de passer à l’acte.
« Tout est en règle, m’annonça l’hôtesse en refermant mon dossier. Vous allez pouvoir effectuer votre voyage dans une petite heure, le temps d’effectuer les réglages de la machine. »
J’acquiesçais d’un signe de la tête, peu enclin à partager quoique ce soit avec cette blonde rondelette qui n’avait jamais connu les affres de la faim. Je ne pensais qu’à mon objectif.
Il était facile de faire croire à ces friqués que je désirais revoir une dernière fois ma mère morte depuis peu. Il s’agissait d’une raison courante. Beaucoup de riches obtenaient ce voyage pour revoir un disparu, ne serait-ce que quelques heures. Bien qu’on ait inventé la machine à remonter le temps, on était loin de découvrir les secrets de l’immortalité.
J’avais emmené un sac de voyage afin de ne pas éveiller les soupçons, mais mon arme était précieusement cachée dans les plis de ma veste. Malgré une fouille minutieuse, ils ne pouvaient soupçonner sa minuscule existence.
Je suis entré dans la machine. Une simple cabine à l’image d’un ascenseur, le sofa capitonné en plus.
« N’oubliez pas, me rappela mon hôtesse. Jeudi à 15h, vous devez être revenu dans la machine, sinon nous serions obligés de vous récupérer nous-mêmes. »
Je souris. Dans trois jours, ils ne penseront plus à moi. Dans moins de trois jours, je serais débarrassé de ce monde agonisant qui était le mien depuis ma naissance.
Un voile opaque apparu. Un grésillement métallique crépita autour de moi avant qu’une lumière irréelle me rende momentanément aveugle. La blancheur de la lumière s’éteignit progressivement pour laisser apparaître une obscurité épaisse.
Ferme et résolu, j’attendis calmement que la machine s’arrête. Elle sembla se cabrer puis le silence revint. Petit à petit, des ombres se firent visibles. Je pouvais distinguer les battants de la porte. Cette dernière ne tarda pas à s’ouvrir, laissant apparaître une cave des plus banales.
Afin de permettre les voyages dans le passé, les scientifiques avaient prévu un ancrage physique dans tout le 20ème et 21ème siècles : une cave poussiéreuse dans un bâtiment désaffecté. Ils s’étaient arrangés pour que ce vieux bâtiment reste inhabitable durant les deux derniers siècles.
J’allumais ma lampe torche. Je n’avais pas une seconde à perdre. Je devais agir aujourd’hui même. Je me précipitais vers la sortie. Le soleil m’éblouit un moment avant que je puisse reprendre ma course vers mon objectif. Le métro n’étant pas loin, il ne ma fallut qu’une dizaine de minutes pour arriver devant le Mac Do.
Je la vis à travers la vitre. Elle était bien là, comme convenu, prenant son repas avec lui avant de prendre son service. Elle semblait heureuse. Elle pouvait l’être avec la nuit qu’elle venait de passer ! J’avais retrouvé son journal intime. Je savais tout de cette période. Malgré l’emprise de la misère sur sa triste vie, elle avait trouvé l’amour. L’amour avec un grand A comme elle s’était plu à l’écrire. Foutaises ! Vu la suite des événements, elle s’était bien fait avoir. Comme tant de jeune fille de son âge.
Mais tout cela sera bientôt fini. Je ne vais jamais voir la tristesse dans ses yeux, sa descente dans l’enfer de l’alcool. Je ne vais pas non plus voir la détresse de mon petit frère, lui si fragile qui s’est tant attaché à moi.
C’était pour lui que je faisais tout ça. Habituellement, les gens s’y prenaient avec plus de simplicité. Oui mais voilà. Je ne pouvais pas le faire souffrir davantage, lui, le seul être que j’ai jamais vraiment aimé. J’ai su le protéger jusqu’à maintenant mais je ne pouvais plus. J’en étais devenu incapable.
D’un coup de dent, je me décidais à découdre la doublure de ma veste pour y attraper mon arme. Elle était là, au fond de ma main, prête à accomplir ma délivrance. Une fois à l’intérieur, je commandais trois cafés. Discrètement, je la fis tomber dans l’un des gobelets. — Salut ! clamais-je à mes nouveaux amis. Alors, il parait que vous avez vu le dernier Spielberg hier ? continuai-je en disposant mes cafés devant eux.
— Oui ! s’écria t-elle les yeux pétillants. C’était formidable ! Il y avait de ces effets spéciaux ! A vous couper le souffle !
Son compagnon me regarda avec suspicion. Mais je la connaissais bien. Je savais qu’en lançant ce sujet elle en oublierait de me demander qui j’étais. Par réflexe elle porta le gobelet à sa bouche, bu une gorgée tout en continuant avec entrain son monologue.
— Mais le plus beau, c’était l’histoire d’amour. C’était si romantique !
Elle reprit une gorgée, encore et encore. La pilule commençait à faire de l’effet. J’avais des fourmillements dans tout le corps. Les bruits environnant se firent plus étouffés. Ma vision se troubla. J’observais mes mains. Elles commençaient à disparaître.
Elle posa son gobelet. Il était vide. C’est la dernière vision que j’eus avant de disparaitre. Ma mère avait avalé la pilule abortive. Mon suicide était réussi.
De Lina Carmen